Rencontrer Sebastien Schuller n’est pas de tout repos. Le RDV était initialement prévu près de Pigalle dans une rue d’origine un peu olé olé. Le repérage Google maps est vite expédié : temps de parcours estimé à 15 mn, tout compris (marche incluse). Ca le fait. Jusque là tout va bien. Puis, un coup de téléphone labellisé brouhaha m’informe à une heure du RDV que l’entretien aura finalement lieu au «Au rendez-vous des amis », situé au 23 de la rue des Abbesses (Paris - Montmartre), un peu plus haut, donc, à 19H30 (GMT) tapante.
Enfin, c’est ce que comprend mon téléphone cellulaire.
En temps normal, j’ai tendance à faire confiance à ce que me raconte mon téléphone cellulaire.
Grossière erreur.
Je hèle un métro avec mon pass navigo à 19H10 et quelque en tentant vaguement de me concentrer sur les questions que je n’ai pas eu le temps de préparer. Il est 19H25 quand je remonte la rue des Abbesses côté impairs. Météo oblige. Même si pour être très honnête, à 19h25, rue des Abbesses, ce jour là, il faisait plutôt beau.
J’arrive face au 23. Je reste coi et juste en face pour être très précis.
« C’est quoi ce bordel ? ».
Je maugréé.
Je passe un coup de téléphone rapide à qui de droit.
Il est 19h27.
A l’autre bout du fil imaginaire, qui de droit me dit que j’ai bien RDV au 23 mais de la rue Gabrielle et pas du tout au 23 de la rue des Abbesses.
Je raccroche, limite abasourdi (pour rester poli).
« T’as rien compris ou t’es vraiment trop con ? ».
Voilà ce que je pense de moi à cet instant précis.
Il est 19H30 et je ne sais pas du tout où se trouve cette rue Gabrielle.
Un ange passe.
J’en profite pour lui demander mon chemin.
A 19H45, j’arrive « Au rendez-vous des amis », tout dégoulinant de stress.
Je viens de passer le dernier quart d’heure à faire de l’escalade approximative dans les rues de Montmartre en me perdant plusieurs fois.
Sebastien Schuller est attablé en terrasse et mange un bon saucisson pas piqué des hannetons en buvant du rosé pas piqué des hannetons non plus.
« Enchanté », dis-je en regardant le saucisson droit dans les yeux.
La casquette de Sebastien me répond timidement mais poliment.
Je m’installe à l’intérieur du bar des copains en prenant mes aises.
Il fait chaud.
J’avale un Perrier d’une traite en gobant les glaçons et la rondelle de citron qui vont avec.
Sebastien me rejoint dans la foulée et se pose à côté de moi.
Le face à face se fera de profil.
J’appuie sur la touche enregistrement de mon magnéto à piles.
(INTERVIEW)
QUAND ON A COMPOSÉ UN MORCEAU COMME WEEPING WILLOW, ON SE REND COMPTE AU BOUT DE COMBIEN DE TEMPS QU’ON VIENT DE COMPOSER UN CHEF-D’ŒUVRE.
LE MORCEAU PARFAIT. CELUI DONT ON PARLERA ENCORE DANS 1000 ANS ?
j’exagère un peu volontairement
Je ne sais pas si on s’en rend vraiment compte, en fait. Et je ne sais pas si Weeping Willow est un chef d’œuvre, d’ailleurs.
Par contre , on se rend compte qu’un morceau prend de l’importance, ça oui.
Avec les premiers retours, on sait très vite si un morceau touche plus ou moins.
Sur certains morceaux, parfois, je me dis que j’ai un truc vraiment bien et puis souvent je suis surpris parce qu’ils touchent moins que je ne le pensais au départ.
Les réactions sont souvent imprévisibles.
Sur Weping Willow, peut être qu’il y a eu une certaine justesse au bon moment ou un bon hasard autours de l’écriture.
ÇA DOIT ÊTRE DIFFICILE APRES UN 1ER ALBUM REMARQUABLE ET REMARQUÉ COMME « HAPPINESS » DE SE REMETTRE A COMPOSER DE NOUVEAUX CHEF-D’ŒUVRES , CES 4 ANNÉES D’ABSENCE ETAIENT NÉCESSAIRE POUR LA GESTATION DE CE NOUVEL ALBUM ?
D’une part, il y’ a eu 2 ans ou j’ai fait 3 musiques de films. Ca m’a pris beaucoup de temps et beaucoup d’énergie. Du coup, la création de ce second album a pris deux années. Une année de démos et une année de production.
« EVENFALL » SEMBLE TRÈS TRAVAILLÉ, PLUS ABOUTI, IL ME SEMBLE, QUE LE PRÉCÉDENT ALBUM ?
je me rend compte en posant ma question débile que je boulette involontairement en direct live. Pour faire diversion, je pose pleins de questions en mode rafale
PARLE NOUS DE TON PROCESSIF CRÉATIF ? TU COMPOSES RAPIDEMENT. ? TU RETRAVAILLES LES MORCEAUX LONGTEMPS ? A PARTIR DE QUEL MOMENT, UN MORCEAU TE SEMBLE DÉFINITIVEMENT ABOUTI, FINI, ACHEVÉ ; STYLE GENRE « ON N’EN PARLE PLUS », AU SUIVANT ?
IL FAIT VRAIMENT CHAUD LÀ,
NON ?
La composition des morceaux est généralement assez rapide mais il y a quand même des exceptions.
Parfois des morceaux vont me demander vraiment beaucoup plus de temps.
Je sais que j’ai un bon couplet et un bon refrain mais je sens qu’il il va falloir beaucoup de patience avant de trouver la suite.
Le processus de création sur mes deux albums à été à peu près le même : ça commence toujours par des démos faites à la maison.
Après, pendant l’étape de production, je commence à enregistrer.
Mes musiciens interviennent aussi beaucoup sur les morceaux.
Après l’étape studio, je retourne chez moi avec mes bandes.
Je retravaille, je trie, je sélectionne.
LA LITTÉRATURE , LE CINÉMA ET LA PEINTURE T’INFLUENCENT ET T’INSPIRENT, J’IMAGINE ?
Je suis très inspiré par tout ce qui est visuel ; les films, les paysages... Tout ce que tu peux observer dans ton quotidien. Par le graphisme aussi. Forcément toutes ces sources d’inspirations t’accompagnent ensuite dans tes idées et dans la création de tes morceaux.
A L’ÉCOUTE DE L’ALBUM, ON A L’IMPRESSION QU’UNE SEULE ET MÊME LUMIÈRE TRAVERSE TOUTES LES PISTES ?
Moi même, quand je parlais aux musiciens, je parlais de lumière pour définir certains sons et j’avais une vision assez printanière de la 1ère partie de l’album.
Avec un peu de recul, pour moi l’album pouvait se lire comme une journée.
Les 1ers morceaux ayant une approche plus matinale, jusqu’au soleil éclatant de midi de « The Border » ; et une deuxième partie de l’album, peut être, un tout petit peu plus sombre, plus orientée vers le crépuscule.
ÇA T’ARRIVE DE PLEURER A L’ÉCOUTE D’UN DE TES PROPRES MORCEAUX ?
PARCE QUE DES FOIS NOUS, JE NE T’EXPLIQUE PAS.
Ca m’est déjà arrivé d’être très ému. Très ému d’avoir trouvé un thème dans le moment de création. J’ai un souvenir du dernier jour d’enregistrement sur un morceau d’ Happinness. Je me rappelle avoir passé des heures à écouter le morceau final, allongé sur mon canapé en regardant la lune .
Dès fois, on est content d’avoir trouver quelque chose et de célébrer certaines idées. Se surprendre soi-même génère quand même beaucoup d’émotion.
Tiens, c’est moi qui ai réussi à faire ça ? C’est toujours étonnant.
TU VIS POUR LA PLUPART DU TEMPS A PHILADELPHIE (ETATS-UNIS). MUSICALEMENT, LES ETATS-UNIS EN CE MOMENT, C’EST UN PEU LA LOOSE. A PART UN OU DEUX GROUPES UN PEU BRANCHOUILLE DE BROOKLYN ET UN BARBU A CHEMISE A CARREAUX QUI PLEURE PLUS QU’IL NE CHANTE, JE VOIS PAS ; EXCEPTION FAITE DE BEIRUT, DE SUFJAN STEVENS ET D’ANIMAL COLLECTIVE QUI SONT EUX PLUTÔT DU GENRE HORS CATEGORIE.
Il y a plein de groupes hors catégorie que je trouve fantastique aux Etats-Unis (sourire)
Je sens l’amélioration des groupes français et de la musique française.
D’une certaine manière, elle n’a plus à avoir honte ou peur de s ‘exprimer ou de s’exporter. Donc, ça c’est déjà assez fantastique car c’est assez récent.
Et là, je ne parle pas de la « french touch ». Je trouve la deuxième version d’extension musicale française beaucoup plus intéressante que celle qui se cachait juste derrière un beat à la Daft Punk. Mais malgré tout, je reste assez bouleversé par ce qui vient de l’étranger et notamment des Etats-Unis.
On a peu de chose équivalente en terme mélodique.
LES GROUPES FRANÇAIS QUE TU APPRÉCIES PARTICULIÈREMENT ?
Dominique A , M83, Benoit de Villeneuve, Daniel Darc, Frédéric Lo…
ON T’AS COMPARÉ SOUVENT A THOM YORKE. C’EST PAS TROP FRUSTRANT A FORCE ? BON, EN MÊME TEMPS, J’AI L’IMPRESSION QUE TU ENTRETIENS LA CHOSE. TON REMIX DE NUDE ETAIT TOUT SIMPLEMENT PARFAIT.
Non, ça me saoule pas. C’est un artiste que j’aime beaucoup, que j’ai énormément écouté. La comparaison n’est pas blessante. Ca serait la réduction qui serait gênante.
Le remix de « Nude » a été fait en une nuit à l’arrache en plein enregistrement de l’album. Ca m’a amusé de le faire même si je n’y ais pas consacré assez de temps.
On pourrait parler des heures mais Sebastien à RDV avec le concert de Beirut à l’Olympia.
On se quitte en se serrant la main. Je lui demande une dernière petite chose.
« Tu pourrais m’écrire un petit texte présentant « The Border » ?
J’aimerai bien le mettre en ligne demain matin, si possible.
Sebastien ne dit pas non et s’éclipse discrètement alors qu’il fait encore jour.
Le lendemain, je reçois ce petit texte dans ma boite email.
« How much time will it take
To decide and to reflect
When it comes time to make the choice
For this alternative life
in your white dress twirling around
when the light s bounced on your face
I just doubt it could disappear »
Sebastien Schuller
Je me rappelle avoir passé des heures à écouter ma boite mail en regardant la lune.